« On a besoin d’ombres pour voir la lumière qui nous entoure. Dès qu’elles se dissipent, on est aveuglé, incapable de distinguer quoi que ce soit, comme si on nous braquait une lampe au visage pour nous faire parler et qu’on se mettait à tout raconter pour voir autre chose que ce blanc incandescent qui nous brûle les yeux. Chaque matin j’endosse mes ombres et j’écris des histoires qui me dépassent de plusieurs têtes, que je ne suis jamais seul à composer, parce que ce sont elles, ces silhouettes à demi esquissées, qui me guident dans la nuit noire où je m’enfonce. Je m’en sers comme écran protecteur pour y faire apparaître tout ce qui a disparu de mon existence, mais subsiste dans cet autre monde où rien ne se perd et rien ne se crée, comme les figurines cycladiques qu’on enterre dans le fond d’une combe, les masques kwakiutls qu’on accroche au faîte des arbres ou les poupées katchinas qu’on noie dans les fontaines ou cache dans les bosquets. Les mots et les images qui hantent nos livres et nos rêves sont des icônes et des idoles venues du fond du temps et de l’espace pour nous rappeler qu’on n’est pas seul au monde mais entouré d’ombres qui nous tiennent par la main. » Pierre Ouellet. Pierre Ouellet, lauréat de plusieurs prix prestigieux, dont le prix Athanase-David pour l’ensemble de son œuvre, est romancier, poète et essayiste. La procession des ombres, son quinzième roman, se caractérise par une grande maîtrise de la langue et de la pensée de même que par une inventivité narrative dans laquelle les personnages deviennent des figures mythiques porteuses d’un sens hors du commun..